12/07/2012
Stayin' Alive
La boule à facettes de la mort
(image par Circa71)

La crise, partout. Les pélicans qui meurent, les tontons qui toussent, les banques qui s’écroulent. Et /ut7, têtue, est toujours sur le pont.

Qu’on se le dise, même pas morts, qu’on est.

Les gens s’étonnent qu’on soit encore là. Ils nous demandent si ça va mieux, si ça va aller mieux. Il faut dire, les experts nous disent, qu’une entreprise sur cinq seulement sort vivante de la période d’observation prononcée par le tribunal de commerce. Et d’ailleurs on n’en est pas encore sorti, de la période d’observation. Le tribunal de commerce toutefois, dans sa grande mansuétude, nous a accordé fin juin un prolongement de période d’observation, conformément à notre demande. Nous voilà donc en sursis, autorisés à exister jusqu’à fin décembre, date à laquelle nous devrons expliquer comment nous comptons apurer le passif de /ut7. On pourrait se dire, c’est maigre. Ou se dire, à l’inverse, que chaque jour de pris est une victoire supplémentaire. La blague récurrente du moment – si on s’en sort, on pourra monter un cours complet sur le sauvetage d’entreprises en faillite et assurer notre succès.

Quand t’es diagnostiqué cancer phase 3, qu’on nous dit, la vie a un goût différent.

Paraît-il, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Paraît-il, l’espoir fait vivre. Dans un monde où on nous rabâche à longueur de temps que rien ne va plus, nous sommes bien vivants, nous sommes pleins d’espoir. Notre trésorerie, véritable nerf de la guerre, s’est largement améliorée. Nous avons rempli nos carnets de commande avant la période estivale, ce qui va nous maintenir occupés une bonne partie de l’été et toute la rentrée. Nos clients historiques nous sont restés fidèles (qu’ils en soient largement remerciés). Et de nouveaux clients ont eu le bon goût de nous faire travailler, tout en connaissant nos difficultés actuelles (qu’ils reçoivent notre profonde gratitude).

Un redressement judiciaire, vu de l’extérieur, ressemble un peu à une maladie honteuse. Ceux qui sont en plein dedans le taisent, peut-être par peur du rejet des clients, de la désertion des salariés. Certains nous ont dit, la faillite c’est l’échec. D’autres nous ont conseillé d’en parler, c’est pour le mieux qu’ils nous ont assuré, sans croire vraiment qu’on allait le faire. Leur étonnement / soulagement, eux qui n’avaient pas encore l’habitude de nous voir appeler un chat un chat. De voir des doux-dingues, férocement ancrés à leurs rêves, prêts à garder la tête sur les épaules si c’est la seule manière de vivre l’impossible.

Tu dis - on a déposé le bilan, et les amis te répondent omondieu, comment allez-vous faire, est-ce que ça va, comment peut-on vous aider.

(Un indice, si vous voulez nous aider : appelez-nous pour nous proposer du travail.)
(Vous pouvez aussi nous appeler, comme certains l’ont fait, pour nous proposer de nous racheter, mais cela ne nous aide pas.)

C’est dur de voir les autres autour de nous vouloir discuter de l’après-/ut7, alors que c’est au contraire du futur de /ut7 dont nous voulons parler, ce futur qui nous aide à trouver la force chaque jour de continuer à avancer. Un futur rempli de formations techniques, dans un format anti-scolaire, accueillant des participants de tous niveaux. Un futur où nous accueillons curieux d’un jour et stagiaires chevronnés dans notre studio de développement, studio depuis lequel nous écrivons nos propres logiciels. Un futur où nous aidons, jour après jour, à donner à ce métier de développeur ses lettres de noblesse. Un futur, enfin, inscrit dans un réseau d’entreprises autogérées et de praticiens militants.

Nous n’y sommes pas encore, nous y sommes déjà. L’heure est au bootstrapping. À l’humilité, au redressement (productif). Et on se dit qu’on va y arriver. Peut-être que le statut de coopérative nous aide à être plus résilients dans ce moment difficile - chacun se sentant investi du devenir de l’entreprise. Peut-être avons-nous fait ce qu’il fallait pour avoir un bon capital sympathie et le soutien dont nous avions besoin. Peut-être avons-nous juste de la chance, l’injuste chance de ceux qui, comme dans le Théâtre d’Artaud, ripaillent indemnes au milieu de l’épidémie de peste. Ou peut-être sommes-nous juste en train de mourir, sans nous en rendre compte. Mais n’est-ce pas là notre lot à tous ? Au final, sinon la vie de l’entreprise, la vie des entrepreneurs reste avant tout une collection de jours vécus, et une file improbable de jours restant à vivre. À rester vivant.

Feel the city breakin and everybody shakin,
And were stayin alive, stayin alive.
Ah, ha, ha, ha, stayin alive, stayin alive.

Emmanuel Gaillot