Trois mois aujourd’hui que je fais partie de l’équipe /ut7. C’est peu, au regard de l’impression que j’ai d’en être depuis des années. Il faut dire que j’y ai fait mes premiers pas de free-lance en 2016, fraîchement exilée du monde académique. Lorsqu’on s’est rencontrés, je corrigeais mes derniers travaux d’étudiant·e·s de master et écrivais un article universitaire. Avec candeur, j’ai raconté mon projet fou : transmettre et faire de la philosophie, avec des adultes curieux de cette discipline souvent trop intimidante. Un endroit et des temps où l’on peut faire de la philosophie, apprendre, chercher, cogiter, écrire, lire, le plus librement possible, donc sans chercher à avoir raison à tout prix. Sans chercher non plus à reproduire les normes en vigueur à l’université. Et — comme la candeur a du bon — Raphaël a proposé son aide avec enthousiasme pour bootstrapper mon projet. Et il ne fut pas le seul. Toute la suite de cette histoire m’apprendra à quel point le brin de folie qui vous conduit à sortir des rails — l’envie de créer — dessine aussi des carrefours. Je me demande même si ce que je viens d’écrire n’est pas aussi le leitmotiv de /ut7.
Bref, on se connaît depuis des années, mais aujourd’hui, je peux le dire : j’ai bel et bien trouvé le labo que je cherchais. Et même, son équipe a bel et bien voulu m’embaucher. Je l’écris presque comme pour en prendre un peu mieux conscience.
Une philosophe parmi des développeurs ? Dans une société coopérative ? Qui a choisi une boutique comme local professionnel ? Oserais-je ajouter que durant nos réunions d’équipe à distance (en audio), en même temps que nous parlions, il m’est arrivé de nettoyer ma salle de bains, tandis que l’un ou l’autre faisait ses courses, un sudoku ou une marche dans la forêt ? Et qu’une demi-journée par semaine, nous nous retrouvons à la boutique pour faire n’importe quoi (disons plutôt que nous essayons, la chose est plus difficile qu’il n’y paraît) ?
Si j’osais entrer dans ces quelques descriptions, vous me demanderiez pourquoi j’appose le nom très sérieux de « laboratoire » à cet espace pour le moins fantaisiste. Vous vous inquièteriez peut-être pour moi, toute nouvelle recrue, ou plus encore pour Jonathan, Étienne et Raphaël (d’aucuns verraient une catastrophe dans l’arrivée d’une femme — philosophe — féministe ! ).
Et pourtant, quoi de plus fou et sage que d’essayer de créer ensemble durablement les conditions matérielles — une entreprise, un local, un budget, des temps, des discussions, un certain mode de délibération et de décision, etc. — qui nous permettent de développer ce qu’on sait (jamais assez) et désire (jamais trop) faire ? Il en faut de la fantaisie pour ne pas renoncer à ce qui nous anime profondément et chercher à la marge des moyens d’entrelacer le réel et nos désirs.
Depuis mon embauche officielle, nous avons tenté de réfléchir à l’identité de /ut7. C’aurait été une façon de justifier rationnellement ma présence et de forger une vision cohérente et pimpante de ce drôle de bateau. Mais ça n’a pas marché : on n’a pas trouvé de formule qui nous convienne parfaitement. On ne peut pas vouloir expérimenter et continuer à se questionner, et croire qu’on a déjà une identité définitive de valeurs et de principes. On bricole et on a envie de bricoler ensemble.
Alors au lieu de chercher l’identité fixe (l’ADN de l’entreprise comme on dit), on a surtout chercher les motifs sensibles (les désirs et les peurs) qui ont poussé chacun·e d’entre nous à faire /ut7. Si l’on cherche à ouvrir la boîte de ce qui nous anime sans chercher à revêtir nos émotions de rhétorique rationnelle, on comprend peut-être un peu mieux ce qu’on est, parce qu’on y relie les actions aux élans. Une autre façon de définir l’identité mobile par une communauté de désirs.
Et je me suis reconnue dans un fil rouge qui a émergé de notre dernier échange sur le sujet cette semaine : créer un endroit qui nous permette de travailler ensemble (ça ne va pas de soi car nos passions — écrire du code ou des mots, réfléchir, chercher à résoudre des problèmes insolubles, etc. — sont aussi très solitaires) et de faire pousser des choses nouvelles au gré de nos savoirs et centres d’intérêts. J’ajouterai quelque chose qui m’émeut depuis que j’ai rejoint l’embarcation : on s’y encourage les un·e·s les autres à respecter nos besoins et nos contraintes.
C’est bien le labo que j’appelais de tous mes vœux. Merci l’équipe de m’avoir accordé à ce point votre confiance et de nous accueillir, moi, mes projets d’écriture, Simone et les philosophes.